Le Nocturne Ville d’Avrayen de Georges Enesco (1881-1955)

Histoire d'une partition manuscrite inédite de Georges Enesco redécouverte dans les archives de l'IEMJ

par Hervé Roten,

Compositeur roumain, mais également violoniste virtuose, chef d’orchestre, pianiste et pédagogue, Georges Enesco (Enescu en roumain) est né le 19 août 1881 à Liveni (Moldavie roumaine).

enesco_250px_vertic.jpgEnfant prodige, il entre au conservatoire de Vienne à l’âge de 7 ans. Il y étudie la composition et le violon et se produit régulièrement en public dès l’âge de 12 ans. En 1895, il s’établit à Paris pour y suivre des études musicales au conservatoire : la composition avec Jules Massenet et Gabriel Fauré, le contrepoint avec André Gédalge, le violon avec Martin-Pierre Marsick.

A Paris, il se lie d’amitié avec notamment Alfred Cortot, Pablo Casals, Jacques Thibaud, Maurice Ravel, Jean Roger-Ducasse, Florent Schmitt, Paul Dukas et Fernand Halphen. En 1898, Enesco dédie à Halphen son Nocturne Ville d’Avrayen pour piano et trio à corde. Deux ans plus tard, Halphen dédie à Enesco sa Sonate en ut # mineur pour violon et piano, sonate qui sera probablement interprétée par Enesco lui-même lors de sa création.
Durant la Première Guerre mondiale, Enesco revient en Roumanie, où il compose sa Deuxième suite pour orchestre (1915) et sa Seconde symphonie (1918), un Trio pour violon, violoncelle et piano et sept Pièces impromptues pour piano. A la fin de la guerre, il partage sa vie entre la France et les Etats-Unis où il dirige régulièrement l’orchestre philharmonique de New York. Il donne également de très nombreux récitals et concerts en France, où il est accompagné par Gabriel Fauré et Richard Strauss. A partir de 1928, il commence une activité de professeur de violon et d’interprétation à Paris, Sienne, New York et Cambridge. On compte parmi ses élèves Yehudi Menuhin, Christian Ferras, Dino Lipatti, Ivry Gitlis, Arthur Grumiaux, Michel Schwalbé…
La Seconde Guerre mondiale voit le retour d’Enesco à Bucarest. Il s’immerge dans la vie musicale de la capitale roumaine. Ardent défenseur de la musique contemporaine, il compose des œuvres d’une grande modernité : les Impressions d’enfance pour violon et piano (1940), un Quintette pour piano et cordes (1940) et son second Quatuor avec piano (1944). La paix revenue, Enesco se produit comme chef ou violoniste à Moscou avec David Oïstrakh et Emil Gilels, à Bucarest avec Yehudi Menuhin ou au piano au côté d’Ernst Wallfisch. L’instauration du régime communiste le conduit à s’exiler définitivement. Réfugié à Paris et bien qu’en butte à des difficultés tant financières que de santé, il reste toujours très actif jusqu’à sa mort dans la nuit du 3 au 4 mai 1955.

Les circonstances de composition du Nocturne Ville d’Avrayen
capture_signature_enesco_redim.jpgLe 5 juillet 1898, Georges Enesco, alors âgé de moins de 17 ans, est invité par Fernand Halphen à Ville d’Avray, dans la maison de ses parents. Comble d’ironie pour des israélites, la demeure de Georges et Alice Halphen s’appelle « Le monastère » ! Enesco, condisciple de Halphen au conservatoire, y passe un moment très agréable et les deux amis vont même prolonger cette journée jusqu’à tard dans la nuit. La lune est claire et provoque l’inspiration d’Enesco qui va composer un Nocturne Ville d’Avrayen pour piano, violon, alto et violoncelle, qu’il dédiera à Fernand Halphen, et à qui il remettra le manuscrit.
En 2005, les descendants de Fernand Halphen font don des archives musicales du compositeur au Centre Français des Musiques juives, l’actuel Institut Européen des Musiques Juives. Parmi les nombreux documents figure ce manuscrit tombé dans l’oubli. Quelques recherches sur Internet font état d’une esquisse de la partition. D’autres mentionnent cette partition comme datant de 1931-1936, sous le titre légèrement différent de Nocturne Ville d’Avray. En 2012 parait un CD consacré aux inédits de Georges Enesco (Georges Enescu, The Unknown Enescu, Volume One, Music for violin) dans lequel figure le Nocturne Ville d’Avrayen. Ce nocturne, retrouvé dans un manuscrit conservé par l’Institut Culturel Roumain – Musée Georges Enesco, est décrit comme étant « un souvenir touchant des relations fortes qu’Enesco entretenait avec Menuhin » durant la période 1931 à 1936 ! Selon Malcolm MacDonald, auteur de la notice du disque, c’est durant cette période qu’Enesco aurait écrit ce nocturne qui aurait été joué dans la demeure des Menuhin, qui habitaient alors à Ville d’Avray. En réalité, Enesco n’a fait que reprendre cette œuvre de jeunesse qu’il donne à interpréter notamment par Menuhin au violon, Pierre Monteux à l’alto et Maurice Eisenberg au violoncelle. L’histoire a effacé le nom du premier dédicataire – Fernand Halphen – pour ne retenir que celui de Yehudi Menuhin. On retrouve cette inexactitude sur de nombreux sites, dont celui de la BNF.

La comparaison des deux manuscrits d’Enesco (voir ci-dessus), permet de resituer la création du Nocturne Ville d’Avrayen dans son époque et son contexte originaux. Il s’agit d’une œuvre de jeunesse (Enesco n’a même pas 17 ans !) inspirée par la nature. Sur cette partition, indiquée comme ayant été achevée le jeudi 7 juillet 1898 à 3 heures 20 minutes du matin, figurent des indications telles que « beau clair de lune », « chant du coq », « il sonne minuit ». Cette même nature inspirera à Enesco un an plus tard une Aubade pour violon, alto et violoncelle (1899) et plus tardivement une Sérénade lointaine pour piano, violon et violoncelle (1903).

Voir la vidéo du concert de gala de l’IEMJ 2015 comportant l’interprétation du Nocturne Ville d’Avrayen selon le manuscrit de Fernand Halphen
Ecouter des extraits du CD Viniciu Moroianu joue Georges Enesco – Pièces pour piano et musique de chambre
Consulter un extrait de la partition rééditée chez Salabert

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